Quercus Robur aurait pu se nommer Roger Pafroy ou même Vanessa Gliss mais bon, on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher. Comme Sapiens sapiens tombé de sa branche après avoir été bombardé de pignes par des chimpanzés, il glissa à terre et s’enfonça profondément dans notre mère. Quercus Robur a donc germé d’un gland, a enfoncé avec délice ses racines dans l’humus onctueux et étendu ses petits bras ramifiés dans toutes les directions de la lumière.
Tout était pour le mieux. Au printemps il ouvrait ses petites feuilles caduques à la chaleur du soleil, en automne les cochons du village venaient lui grignoter les glands. Des cochenilles et des lichens se nourrissaient de lui. Parfois un gai luron et une gaie luronne venaient rejouer la création du monde dans la protection de son ombre. Puis un beau matin, fatigué des querelles picrocholines de ce village sans histoire, il chercha conseil auprès du hêtre dont s’est servi Giono comme modèle dans un Roi sans divertissement. Celui-ci lui conseilla de visiter le vaste monde. Il toussa alors violement et s’arracha définitivement à notre mère la Terre.
Il voyagea. On le vit aux côtés de Lord Jim, égaré dans la vallée infernale ou dérivant à bord du sampan, vivant l’aventure au parfum d’Ylalang. Le capitaine Achab le recruta dans sa lutte contre les cachalots – c’est lui qui d’ailleurs lança le harpon fatal sur Moby Dick, ce gros cachalot haineux. Il présenta Jack London à Corto Maltese, quelque part en Mandchourie, et embarqua ensuite sur le bateau d’Henri de Monfreid, avant de partir ramasser des cailloux kmers aux côtés d’un certain André Malraux. Il chassa encore le léopard en Amazonie, chercha de l’or en Alaska, trouva le vieux trône de la reine de Saba dans les déserts de la péninsule arabe. Il apprit à supporter la soif et la faim, le soleil brûlant et l’hiver extrême, repoussa les avances des filles de la Rochelle qui avaient attrapé le scorbut, traqua l’élan et la squaw avec Lewis et Clark…. Enfin, plus tard encore on l’a vu dans le Vercors, sauter à l’élastique, chercheur d’amphores au fond des criques…
Certains ont pu écrire qu’il avait été gabier à bord de l’Astrolabe de La Pérouse, qu’il avait fait le tour du monde en quatre-vingt jours, et pas une seconde de plus, en compagnie de Tabarly, Kersauzon et Rigidel qui ne naviguaient pas sur des cageots ni sur des poubelles. On raconta encore qu’il était le fils du comte de Saint-Germain et de Ninon de Lenclos, qu’il tenait de son père sa légendaire vitalité et de sa mère sa truculente verve. Mais c’est sans doute exagéré.
Un fait est certain, il finit par se retirer du monde en une Thébaïde forestière où, tel Simon le stylite il contemple maintenant la folie du monde et dispense ses bons conseils aux rois et mages venus s’agenouiller à son pied.
Parfois, dans un souci permanent de garder une certaine asociabilité de bon aloi, il taille en pièces ses congénères afin de fabriquer le papier qui servira imprimer de sanglants pamphlets. Pour cela on le voit arpenter les forêts de ce monde, redoutablement armé d’une tronçonneuse, arme mondialisée, guide de chaîne usiné dans les étendues épineuses du Canada, chaîne forgée et assemblée par un pasteur du Montana, moteur issu des forêts équitables du Brésil, le tout assemblé par de jeunes cœurs de vierges suédoises psalmodiant Mamma Mia dans le cœur du si court été nordique. Tremblez car il est là, quelque part, dehors. Il sait.