Né le 28 septembre 1879 à Marseille, mort à Reuilly (Indre) le 28 août 1954, fils de Joseph (ouvrier boulanger et marin) et de Maris Berthou, anarchiste illégaliste, bagnard, marchand forain.
27 août 1954, hameau de Bois Saint Denis, Reuilly, Indre. Alexandre Jacob rédige sa dernière lettre. Il la destine à son amante qui n’ignore rien du suicide à venir. Quelques jours plus tard, l’article « Un homme » du Canard Enchaîné dresse du défunt un portrait presque hagiographique. Défense de l’Homme , par l’entremise de Pierre Valentin Berthier et de Robert Passas, fait l’éloge de celui que le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français de Jean Maitron qualifie en 1972 de « dernier des grands voleurs anarchistes ». Alexandre Jacob cumule les comparaisons, à commencer par celle avec le célèbre héros créé par Maurice Leblanc. Le 6 septembre 1954, soit neuf jours après le décès du vieux Marius, le magazine Noir et Blanc titrait : « Le modèle d’Arsène Lupin vient de mourir ». Le mythe, depuis, a fait son chemin, tant à Reuilly que partout dans l’hexagone. Alexandre Jacob ne fut pourtant ni le gentleman cambrioleur né de l’imagination d’un romancier bourgeois et normand en mal de reconnaissance littéraire, ni même un nouveau Mandrin du XIXe siècle insécure et finissant et encore moins un autre Papillon tentant la Belle 17 fois au bagne des îles du Salut, revenu de l’enfer guyanais et reniant à la fin de sa vie les principes de sa jeunesse. Tous ces clichés dissimulent mal une authentique figure de l’anarchisme, « un cas témoin » de l’illégalisme dont Alain Sergent fut le 1er en 1950 à narrer les faits et gestes dans « Un anarchiste de la Belle Epoque ».
La vie d’Alexandre Jacob est entièrement vouée à la cause libertaire. A onze ans, le « minot » marseillais, certificat d’étude en poche, suit l’exemple paternel et s’engage comme mousse. « J’ai vu le monde – déclare-t-il lors de son procès à Amiens en 1905 – et il n’est pas beau ». Jacob abandonne la navigation et fréquente de plus en plus les cercles anarchistes de la métropole des Bouches du Rhône. 1897, à l’occasion du voyage présidentiel de Félix Faure dans le Midi, la police arrête deux jeunes apprentis chimistes et lecteurs assidus de L’Indicateur anarchiste, brochure que leur a remise le provocateur Lecca. A sa sortie de prison, la police marseillaise ne lâche plus Alexandre Jacob. Le jeune homme peine à trouver un emploi stable. Le vol du Mont de Piété de Marseille, le 31 mars 1899, marque son entrée dans la famille des illégalistes et sonne comme une réponse aux injustices subies. Quatre hommes, déguisés en policiers, procèdent au Mont de Piété de Marseille, rue du Petit Saint Charles, à l’inventaire du fond de dépôt et embarque le sieur Gil sous le prétexte de recel. L’homme est déposé directement au Palais de justice de la ville tandis que les quatre voleurs filent vers l’Espagne avec un butin estimé à environ 400 000 francs. Le lendemain, tout Marseille rit aux éclats. Mais Jacob est arrêté quelques temps plus tard à Toulon. Il simule la folie pour éviter les 5 ans de réclusion, pour lesquels il a été condamné par contumace. Le 19 avril 1900 il s’évade de l’asile Montperrin à Aix en Provence avec la complicité de l’infirmier Royère. Dès lors, Alexandre Jacob organise sa reprise individuelle. A Sète, chez Ernest Saurel (ancien compagnon de Casério) il met au point la première brigade des Travailleurs de la Nuit.
La bande de voleurs, agit au nom de l’anarchie. Mais, à la différence des propagandistes par le fait, le sang ne doit pas couler, sauf pour défendre sa liberté. Centralisation oblige, les Travailleurs se fixent à Paris. Ils utilisent le train pour cambrioler en province et à l’étranger (Belgique, Allemagne, Italie, etc.). Le principe d’un pourcentage reversé aux organisations anarchistes est vite remis en cause par certains membres. Mais nombre de compagnons dans le besoin, Le Libertaire de Sébastien Faure et La Guerre Sociale de Gustave Hervé à Paris, Germinal à Amiens ont amplement bénéficié des largesses de Jacob. Les quelques 150 cambriolages (certainement trois à quatre fois plus) que la police lui attribue défraient d’autant plus la chronique sait joindre l’ingéniosité à la raillerie. De temps à autres, des billets (signés Attila) sont laissées chez les victimes (militaires, curés, notaires, rentiers, nobles) dépitées : « Dieu des voleurs, recherches les voleurs de ceux qui en ont volé d’autres » Rouen, église Saint Sever 14 février 1901 ; « Au juge de paix, nous déclarons la guerre » Le Mans, vol Hulot, 9 juin 1901. Paris, 6 octobre 1901, 76 rue Quincampoix : le bijoutier Bourdin rentre chez lui et découvre un logement vide. Alexandre Jacob, Honoré Bonnefoy et Jules Clarenson sont passés par l’appartement du dessus. Jules Dassin reprend la scène du fameux cambriolage en 1954 dans son film Du rififi chez les hommes : un trou dans le plancher, un parapluie dans le trou pour éviter le bruit de la chute des gravats. Le vol est estimé à plus de 120000 francs. L’entreprise délictueuse, basée sur des mouvements rapide semble pérenne. Elle connaît toutefois de nombreux accrocs. A Orléans, le 27 février 1901, Jacob manque de se faire prendre et tire sur l’agent Couillot pour protéger sa fuite. Son ami et complice Royère est arrêté. Ferrand et Vaillant, deux autres Travailleurs, tombent à Nevers au début de l’année 1903, Clarenson à Monté Carlo un an plus tôt. Le 22 avril 1903, Alexandre Jacob, Félix Bour et Léon Pélissard sont arrêtés dans des circonstances dramatiques : un cambriolage avorté à Abbeville, une fuite précipitée dans la campagne picarde, une rixe sanglante et mortelle avec deux policiers à la gare de Pont Rémy et une battue qui aboutit, par ricochet, au démantèlement complet d’une bande estimée de plus de quarante personnes.
Selon l’expression du juge Hatté, chargé d’une instruction qui dure près de deux ans, « On est en pleine anarchie ». Les 23 co-accusés ne professent pourtant pas tous des principes libertaires. Mais cela justifie un procès sous haute surveillance militaire et une ville, Amiens, en état de siège. La presse nationale et quelques journaux étrangers se complaisent à dresser les crimes des « quarante voleurs » ou encore de « la bande sinistre » du 8 au 22 mars 1905. Alexandre Jacob se saisit de l’occasion pour passer de la propagande par le vol à celle par la parole. Il se révèle rhéteur et parvient à développer toute une théorie illégaliste : « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ». Ses discours font mouche et l’homme étonne par sa verve, sa truculence et ses réparties caustiques visant tout à la fois juges et victimes : « Madame était à son château pendant que je suis entré chez elle, c’est toujours des malheureux que j’ai dévalisés » ! Il se lance surtout dans de longs monologues justifiant et légitimant ses cambriolages. « La propriété, c’est le vol » écrivait Proudhon en 1848. « J’ai préféré être voleur que volé » rajoute Jacob 57 ans plus tard. La sentence de la justice amiénoise tombe sans surprise le 22 mars 1905 : les Travaux forcés à perpétuité.
« J’ai cessé cette lutte du fait de mon arrestation mais je l’ai reprise au bagne sous une autre forme et par d’autres moyens » écrit Alexandre Jacob à Jean Maitron en 1948. Le matricule 34777 débarque aux îles du Salut le 13 janvier 1906. Se considérant comme « un prisonnier de guerre sociale », il adopte dès le départ l’attitude caractéristique des anarchistes internés au bagne. Son opposition à l’Administration Pénitentiaire lui vaut de nombreux passages devant la commission disciplinaire. Il est également jugé 7 fois par le Tribunal Maritime Spécial de Saint Laurent du Maroni pour meurtre (celui du forçat Capelletti en 1908), évasion et tentative d’évasion. Il doit subir quelques trois années de réclusion dans les cachots de l’île Saint Joseph. Malgré l’épuisement physique, Jacob parvient à survivre : « Aujourd’hui j’ai regagné deux kilos. Il est vrai que j’avais mes chaussettes. Je pèse 39 kilos. J’en pesais 65 il y a un an » (lettre à Marie Jacob, 2 février 1911). De nombreuses fois, le matricule 34777 tente de se soustraire à la surveillance de ses geôliers. Il entretient une correspondance salvatrice avec sa mère qui, à Paris, maintient et crée des réseaux de solidarité. Par le biais des époux Aron (Romanitza artiste et André avocat), elle réussit à intéresser les milieux politiques et gouvernementaux (Pierre Laval, Anatole de Monzie). Au sort de son fils. Dans le contexte de critique généralisée du bagne faisant suite aux articles d’Albert Londres en 1923, Francis Million du Peuple et Louis Roubaud du Quotidien lancent dans leur journal une campagne en faveur de la libération de Jacob. Elle réunit en février mars 1925 de nombreux témoignages de soutien : Albert Londres, le docteur Louis Rousseau, l’ancien Travailleur de la Nuit Jacques Sautarel, le gestionnaire des îles du Salut Alric, etc. Le 14 juillet de cette année, une grâce présidentielle ordonne le rapatriement de Jacob en métropole. Sa peine vient d’être commuée en cinq ans de réclusion à purger en France.
Après un passage par Saint Nazaire, Rennes et Melun, Alexandre Jacob se retrouve à la prison centrale de Fresnes. Il est finalement libéré le 31 décembre 1927. Il travaille immédiatement comme chef d’atelier pour le compte de l’entreprise Marivaux, fabrique de bibelots et sous-traitant du magasin Le Printemps à Paris, mais opte en 1931 pour le commerce ambulant. Il s’installe en 1935 dans l’Yonne, à Fleury la Vallée, lieu-dit Les Fréchots, puis dans le Berry. Entre temps, il participe activement à l’élaboration du livre du docteur Louis Rousseau Un médecin au bagne en 1930. Il fréquente assidûment les néo-malthusiens (Eugène et Jeanne Humbert) ainsi que certains pacifistes (Louis Louvet). En 1936 il part pour l’Espagne libertaire et républicaine en guerre avant de retrouver ses amis (Pierre Valentin Berthier, Louis Briselance, Bernard Bouquerau) sur les marchés du Val de Loire. Le commerce de bonneterie de Marius est florissant. L’homme s’installe à Reuilly, au hameau de Bois Saint Denis, à la fin de l’année 1939. Il sait se faire accepter par ce qu’il nomme avec une certaine affection « les indigènes » du cru. Mais la seconde guerre mondiale vient ruiner cette petite aisance financière. Marie Jacob décède en 1941 ; Paulette, la femme du vieux marchand forain, en 1950. Jacob pense dès lors de plus en plus au suicide refusant l’idée de dépendance et préférant « mourir en bonne santé » en « faisant la nique à toutes ces infirmités qui guettent la vieillesse. Elles sont là, ces salopes, prêtes à me dévorer. Bien peu pour moi. J’ai vécu, je puis mourir » (lettre à Guy Denizeau, 17 août 1954) ; La biographie que lui consacre Alain Sergent (ancien collaborateur reconverti dans l’écriture) en 1950 provoque la rencontre et l’amitié avec un jeune instituteur drômois : Robert Passas. Josette, la femme de ce dernier à qui Jacob vient de déclarer sa flamme, passe un mois chez lui. Quelques jours après le départ de son amante, il met son projet à exécution. Alexandre le voleur, Jacob le bagnard, Marius le forain est mort le 28 août 1954.